Aujourd’hui Interview de Guillaume Thouroude suite à son reportage radio sur les Shengnü, femmes non mariées à 25 ans considérées comme des femmes indésirables, en trop.
Un reportage à écouter sur TSR avec un peu de Nihao Lyon dedans.
Bonjour Guillaume, vous avez récemment entrepris de faire un reportage radio sur la question des « Shengnü ». Que désigne le terme de Shengnü – littéralement traduit par « Femme en surplus » – et par qui est-il employé?
L’expression « femme en surplus » doit être comprise comme « femme laissée de côté », voire « dont personne ne veut ». C’est une expression qui est apparue récemment dans la culture populaire pour désigner et stigmatiser les femmes qui ne sont pas mariées après 25 ans. Je ne sais pas qui l’emploie, ni comment elle est utilisée dans les conversations. Quand j’habitais en Chine, entre 2004 et 2008, l’expression n’était pas en vogue, même si le phénomène existait, celui de la pression mise sur les jeunes femmes pour se marier.
Pourquoi avoir choisi ce sujet Guillaume? Peut-on parler de phénomène? Si oui, d’après vous et d’après les témoignages que vous avez recueillis, est-il symptomatique de la société chinoise actuelle?
Ce sujet m’intéresse depuis longtemps, je ne sais pas trop pourquoi. Comme tous les hommes, j’aime fréquenter des femmes libres, intelligentes, charmantes et puissantes. Le genre de discours social véhiculé par l’expression Sheng Nü est pour moi une souffrance : il vise à restreindre la liberté des femmes et à les infantiliser. Dès mes premières années en Chine, j’ai été bouleversé par la qualité des femmes chinoises, leur force et leur douceur, et j’ai trouvé mortifiante cette pression qu’elles subissent. Alors, est-ce un phénomène proprement chinois ? Non, sans doute pas, mais la situation de la démographie chinoise ne devrait pas développer ce type de discours conformiste. Ce pays qui vieillit, et qui cherche à assouplir la politique de l’enfant unique, devrait au contraire célébrer toutes ces femmes trentenaires non mariées. Il serait plus logique de véhiculer l’idée qu’elles sont des trésors à découvrir, plutôt que des pauvres femmes à plaindre.
Vous dites « pauvres femmes à plaindre », la société chinoise a donc une manière extrêmement dure de les regarder. Qu’en pensent les intéressées, comment se voient-elles ?
Ecoutez par exemple le dernier témoignage de mon reportage. Une jeune femme mariée évoque ses amies célibataires. Les mots qu’elle emploie sont précis et clairs : elles gagnent bien leur vie, elles sont indépendantes mais leur vie est « étroite ». Et quand on parle d’elles, on répète à l’envi qu’il leur faut « un homme ». N’importe lequel, en somme. C’est déprimant, à mes yeux. Les intéressées voient les choses de manière variée. J’ai souvent entendu des femmes célibataires me dire qu’elles appréhendaient les fêtes familiales, fatiguées et stressées qu’elles étaient par les questions et les remarques de la famille. Cela étant dit, il y a certainement des célibataires heureuses. J’en connais une qui refuse de se marier, malgré des demandes faites par des hommes chinois et français. Elle a plus de quarante ans et continue d’être courtisée par des Européens. Elle semble n’avoir aucune conscience qu’en Chine, tout le monde parle d’elle comme une Sheng Nü.
En somme le célibat d’une femme – au sens de non mariée – en Chine est insupportable. Pourtant, je ne crois pas pouvoir affirmer que la société chinoise est machiste. La répartition des rôles homme/femme ne semble pas reposer sur des principes contraires à l’épanouissement professionnel et individuel des femmes. La femme chinoise n’est pas cantonnée à son rôle de mère, par exemple il n’est pas rare de voir de jeunes mères partir à l’étranger pour faire des études ou pour des missions professionnelles confiant leur enfant à leur famille en Chine, comme en témoigne une jeune femme dans votre reportage. Il me semble que c’est moins fréquent en France voire mal perçu.
Oui, je ne dis pas non plus que la culture chinoise soit machiste. Pour ce qui est des femmes qui prennent la liberté de quitter leur enfant pour partir à l’étranger, je ne crois pas que cela soit un signe de liberté des femmes. Je crois que c’est dû à l’embouteillage des adultes désireux de s’occuper de l’enfant. Aujourd’hui, avec la politique de l’enfant unique, un enfant n’a rien à partager avec des frères et sœurs, et profite à plein de ses deux parents, et de ses quatre grands-parents qui peuvent et veulent s’occuper de lui, et de lui seul. Il y a là un phénomène d’embouteillage sentimental. La jeune mère, dans ce contexte, est peut-être moins unique et centrale que dans des familles nombreuses coupées des grands-parents. L’absence temporaire de la mère, ou du père, peut être perçue par certains grands-parents comme une aubaine pour passer plus de temps avec le « petit empereur ».
Merci Guillaume, il nous reste plus qu’à profiter des témoignages que vous nous offrez à entendre. Une dernière question : connaissez-vous déjà le sujet de votre prochain reportage à propos de la Chine?
Oui, j’ai réalisé et envoyé à la RTS deux autres reportages. Un portrait de la ville de Nankin, que je considère comme la capitale blessée de la douceur de vivre à la chinoise. Et un autre sur la dégustation du vin. J’ai suivi pour ce faire des oenologues et des marchands de vin à Nankin, à Hangzhou et en Bourgogne.
Reportages à écouter ici et ici
La photo qui illustre l'article a été prise par Guillaume Thouroude lors d'un séjour en Chine.